Clause charges du bail commercial : zoom et points d'attention

Clause charges du bail commercial : zoom et points d'attention

September 28, 2023

La répartition des charges entre le Bailleur et le Preneur à bail commercial, qui avait la particularité de pouvoir être librement négociée, a été largement encadrée par la « Loi Pinel » du 28 juin 2014.


En effet, depuis cette réforme, pour tous les baux conclus et renouvelés depuis le 5 novembre 2014, il est obligatoire de prévoir la répartition des charges et des travaux de manière explicite, dans un inventaire précis et limitatif. Dorénavant, si certains postes doivent nécessairement être conservés par le Bailleur, d’autres peuvent, au choix, être répercutés sur le Locataire ou bien conservés par le Bailleur. Compte tenu de l’impact financier que cette répartition de charges implique et de la durée de cet engagement à savoir pendant toute la durée du bail et des éventuels renouvellements, il s’avère indispensable de négocier une répartition équilibrée des charges et de soigner la rédaction de cette clause. Alors, que faire si votre bail ne prévoit aucune répartition ? Quels sont les risques en cas de rédaction de clauses imprécises, ou contraires à la Loi Pinel ?


Mais d’abord, de quoi parle-t-on concrètement quand on utilise le terme «charges » ?


Il n’est pas possible de faire une liste exhaustive des charges inhérentes à un local commercial, il peut s’agir des dépenses suivantes :


-       travaux et honoraires liés aux grosses réparations à réaliser sur l’immeuble, par exemple les travaux de remplacement du système de climatisation[1], ou encore les travaux de ravalement de la façade[2] ;

-       travaux d'embellissement pour la part excédant le coût du remplacement à l'identique ;

-       honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l'immeuble (honoraires de syndic par exemple);

-       prestations fournies par le bailleur (gardiennage, dépenses d'éclairage des parties communes, chauffage, ascenseur, dépenses d’entretien et ménage des parties communes) ;

-       travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ;

-       travaux ayant pour objet de mettre en conformité les locaux avec la réglementation;

-       dépenses d’entretien : celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l'immeuble, par exemple : les peintures, papiers peints, moquettes, appareils de chauffage, compteurs, sanitaires, volets extérieurs, ou encore l'entretien du réseau d'évacuation des eaux usées[3].


Avant la loi Pinel, nombreux étaient les propriétaires qui refacturaient l’intégralité des charges à leurs locataires, en contravention parfois avec les dispositions du code civil. Ils ne conservaient aucune charge pour eux. Il s’agissait des baux désignés comme « baux triple net ».


Il était d’usage[4] que seules les grosses réparations de l’article 606 du code civil soient prises en charge par le bailleur et que les réparations d’entretien, de l’article 605 du code civil, soient mises à la charge du locataire.


Et aujourd’hui, quelles sont les répartitions possibles ?


Pour tous les baux soumis à la loi Pinel et en application de l’article R. 145-35 du code de commerce, le Bailleur doit conserver à sa charge exclusive les frais suivants :


-       Les grosses réparations touchant au bâtiment : murs de soutènement et de clôture, voûtes, digues, charpente et toiture. Par exemple, et sous réserve d’être qualifiés de grosses réparations par l’article 606 du Code Civil ou par la jurisprudence : la remise en état d'un immeuble suite aux inondations, la réfection de l'installation électrique, la réparation d'une canalisation, le ravalement de l’immeuble, la réfection d’une toiture, d’une verrière.           Pour être qualifiée par un juge de grosse réparation relevant de l’article 606 du Code civil, deux critères sont pris en compte : l’importance de la réparation en question et le caractère exceptionnel de la dépense.


-       Les travaux liés à la vétusté et à la mise aux normes lorsqu'il s'agit de grosses réparations : ces frais ne peuvent être mis à la charge du locataire, même par dérogation.


-       Les honoraires du bailleur concernant la gestion des loyers du local ou de l'immeuble : en revanche, la gestion technique et administrative de l’immeuble peut être mise à la charge du locataire, c’est-à-dire tous les frais qui ne relève pas du quittancement, à l’encaissement, à l’actualisation, à l’indexation et/ou à la révision des loyers.


-       Dans une copropriété, les charges impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d'autres locataires.


L’inventaire récapitulatif des charges ne peut donc déroger à ces principes, la seule inconnue demeure la qualification de certaines dépenses face à une jurisprudence parfois incertaine et fluctuante.


Et en l’absence de clauses, ou en présence de clauses imprécises dans votre bail ?


La jurisprudence est claire sur ce point.


Si le bail ne prévoit aucune clause précisant les charges susceptibles d'être répercutées au locataire, le bailleur ne peut lui réclamer le remboursement de charges[5] : par exemple, de consommation d'eau ou d'assainissement[6]. Les parties peuvent, en revanche, prévoir de soumettre les charges récupérables au statut des baux d’habitation (décret no 87-713 du 26 août 1987).


Les clauses dérogatoires au droit commun sont d'interprétation stricte[7] et leur caractère imprécis s'interprète toujours en faveur du preneur[8].


Et, si le bail renouvelé est contraire à la Loi Pinel ?


Les clauses qui sont contraires aux dispositions prévues par la Loi Pinel en matière de charges sont, par l’effet de l’article L.145-15 du Code de commerce, réputées non écrites et cette sanction n’est pas soumise à prescription[9].


Ainsi, le preneur qui se verrait, en vertu de son bail, imposer le paiement de charges en contradiction avec les dispositions de la Loi Pinel, pourrait solliciter du Juge qu’il qualifie la clause comme non écrite.


Une fois la clause définie, comment s’effectue la répartition des charges incombant aux locataires dans un ensemble immobilier ?


Dans les ensembles immobiliers avec plusieurs locataires, c’est-à-dire lorsque l’immeuble est soumis au statut de la copropriété, et en application de l’article L.145-40-2 du code de commerce, la répartition des charges a lieu au prorata de la surface exploitée par chaque locataire.


Enfin, une fois la répartition faite, qu’en est-il de la régularisation de charges ?


Chaque année et conformément à l’article R 145-36 du code de commerce, l’inventaire figurant au bail donne lieu, par le bailleur, à un état récapitulatif qui liquide et régularise les comptes de charges, soit au plus tard le 30 septembre, soit dans les trois mois de la reddition des charges en cas de copropriété. Le Bailleur a l’obligation de justifier des montants des charges imputées au locataire, par tout document utile.


Enfin en application de l’article L.145-40-2 du code de commerce, en cours de bail, le bailleur doit informer le locataire de toutes les nouvelles charges.  


En somme, la clause relative à la répartition des charges doit être rédigée avec soin au regard de l’impact financier qu’elle peut représenter mais aussi au regard du risque contentieux important qu’elle peut susciter.


Que vous soyez bailleur ou preneur à bail, faites-vous accompagner dans la rédaction de cette clause hautement stratégique. Cet accompagnement s’avère pertinent tant au moment de la négociation du bail initial qu’au stade du renouvellement du bail pour vérifier la conformité de la clause aux dernières évolutions législatives et jurisprudentielles.

[1] Cass. 3e civ., 10 févr. 1999, no 97-13.096,[2] Cass. 3e civ., 28 mai 2020, no 19-10.411, AJDI 2020, p. 686[3] Cass. 3e civ., 21 févr. 1996, no 94-14.000[4] Cass. 3e civ., 18 févr. 1998, no 96-13.068, Rev. loyers 1998, p. 507, note Rémy J.[5] Cass. 3e civ., 17 mai 2018, no 17-11.088, AJDI 2019, p. 203[6] CA Agen, ch. civ., 4 sept. 2019, no 17/00114, Rev. loyers 2019/1000, no 3233[7] Civ. 3e, 3 avr. 2001, Gaz. Pal. 2001. 126, obs. J.-D. Barbier[8] Civ. 3e, 10 mai 2001, RJDA 7/2001, no 756, D. 2001. Somm. 3523, obs. L. Rozès [9] Cass. civ. 3ème, 30 juin 2021, n°19-23.038, FP-B+